Est-ce que tu t’es déjà retrouvé.e dans ces situations dans lesquelles tu fais quelque chose que tu n’as pas envie de faire, où tu ne respectes pas ton désir profond, mais ou tu le fais quand même, en te disant « ça va, ça va aller, ce n’est pas si grave que ça » ?
J’imagine que oui, évidemment. Ca nous arrive tout le temps, partout. Ces endroits où on se force à aller, ces relations dans lesquelles on reste sans oser dire que certaines choses ne nous conviennent pas, ce plat dégueu qu’on avale et termine pour ne pas vexer celui ou celle qui l’a cuisiné, ces « oui bien sûr » affirmés à notre boss même si ça nous fait finir à minuit, ces sourires de trop, ces acquiesements volés, ces compliments balancés alors qu’ils n’étaient pas nécessaires ou mérités.
Aujourd’hui, je voulais parler de comment cette dynamique peut s’immiscer aussi dans nos sexualités, même avec des partenaires de confiance.
Tu vois, ces fois où tu t’es dit :
« Allez, je n’ai aucune envie de faire l’amour mais j’y vais, j’aurais sûrement envie une fois que j’y serai. »
ou
« Je vais le sucer même si je n’en ai pas envie, ou je vais simuler, parce que je sais qu’il va jouir vite et qu’après je pourrai dormir »
ou
« Ca fait trop longtemps qu’on n’a pas fait l’amour, je vais dire ok ce soir comme ça je serai à nouveau tranquille pendant 3 semaines ».
ou
« Je n’aime pas ce qu’il ou elle me fait mais je ne vais rien dire parce que ça lui fait tellement plaisir »
Ces petites phrases, elles ont l’air affreuses, balancées comme ça, sans sommation, en entrée d’un podcast. Et pourtant, je les entendues racontées mille fois, par des amis autour d’un verre. Ou par des clientes et des clients quand ils me parlent de leur vie intime en séance de massage tantrique.
J’insiste sur le fait que ce n’est pas un problème exclusivement féminin, c’est un sujet qui nous concerne tous en tant qu’humains.
Ces phrases, violemment ordinaires, parlent de la façon dont chacun de nous peut choisir d’aller vers l’abus de soi et vers la transgression de ses propres limites, même avec des personnes avec qui nous partageons notre intimité et notre quotidien.
Ce n’est pas la peine de nous en blâmer. Car cela a tout d’un mécanisme qui nous échappe, ancré par l’expérience, encouragé par la société et par l’habitude.
J’avais envie d’en parler aujourd’hui dans Vulvées, parce que je ne m’extrais absolument pas de ce phénomène. Je l’ai déjà énormément pratiqué, et j’ai beau exercer ma vigilance au quotidien, je continue de me faire rattraper par ses rouages, et j’y plonge encore parfois, sans même le voir venir.
Ce qui me fascine encore plus, c’est le joli ruban de dédramatisation dans lequel j’emballe systématiquement ces situations d’auto-transgession. A chaque fois que je suis allée dans des situations d’intimité ou de sexualité sans en avoir vraiment envie, je me suis donnée plein de bonnes raisons de l’avoir fait.
L’étrangeté de ce processus m’a sauté aux yeux grâce à une conversation récente avec mon amie Fanny. Je lui racontais une situation d’intimité où j’étais allée complètement à l’encontre de moi-même. Pour vous la faire courte : j’ai massé une personne que je n’avais absolument pas envie de toucher et qui m’inspirait même du dégoût pour différentes raisons. Mais je l’ai fait parce que cette personne avait envie et besoin que je la touche.
Je racontais donc à Fanny la situation, en lui expliquant toutes les bonnes raisons pour lesquelles j’avais persisté à masser cette personne, justifiant mon geste jusqu’à le rendre – je l’espérais du moins – juste et honorable.
Avec beaucoup de gentillesse, Fanny m’a dit : « en fait, tu t’auto-enfumes, en justifiant un acte d’irrespect de toi avec de belles valeurs ».
Je pense qu’on m’a rarement dit quelque chose d’aussi brutalement vrai avec autant de gentillesse et de douceur, et je n’ai rien pu répondre d’autre que « Putain oui, merci, t’as raison ».
Alors, j’ai repensé à toutes ces conversations que j’avais pu avoir avec d’autres où l’on rivalisait de créativité pour expliquer pourquoi nier nos propres besoins et limites dans l’intimité, ce n’était pas si mal et ça allait peut-être même nous faire du bien.
On aurait pu même établir des listes de toutes les bonnes raisons d’aller contre nous-même.s
Parfois j’ai dit, parfois j’ai entendu : « c’est BIEN et BON que je me force à faire l’amour avec ma compagne ou mon compagnon quand je n’en ai nullement envie. Parce que :
- j’aurai peut-être envie une fois que j’y serai.
- ça m’évitera des disputes et des discussions
- c’est important pour l’équilibre du couple
- ça donnera l’impression que tout va bien
- je serai tranquille pendant un moment
- et puis avant j’avais envie, pourquoi je n’ai plus envie maintenant
- c’est une façon de prendre soin de la personne que j’aime
- ça me permet de challenger ma zone de confort
- c’est important de faire des efforts et de prendre sur soi
- c’est le jeu, on ne peut pas toujours avoir ce qu’on veut.
- j’ai des amis qui font pareil et pour qui ça a l’air de fonctionner
- parce que le/la pauvre, il/elle en a tellement besoin
- parce je ne vais pas penser qu’à moi
Et soudain je me suis demandé « mais POURQUOI je fais ça ? Et pourquoi ON fait ça ? » Pourquoi j’auto-transgresse volontairement mes propres limites ? Pourquoi je me cherche des bonnes raisons pour impliquer mon corps dans une interaction dont je n’ai finalement aucune envie ? Pourquoi je me force en me racontant que c’est bien ?
Et pour débloquer la situation grâce au cadeau de la compréhension, j’ai cherché des réponses dans l’approche corporelle et somatique, qui est la clé de lecture qui m’intéresse le plus.
Dans une l’approche somatique du système nerveux, cette attitude s’appelle en anglais « fawning », qu’on pourrait traduire par « complaisance, servilité ou soumission ».
Avec le Combat, la Fuite et le Figement, c’est la 4ème réaction du système nerveux dans les situations qui peuvent être perçue comme un danger. Dans une situation de potentiel désaccord avec une autre personne, mon système nerveux évalue « puis-je être honnête avec cette personne et lui dire ce que je ressens vraiment et poser mes limites ? Ou est-il probable, si je dis ce que je ressens vraiment dans cette situation, que cette personne se mette en colère, me punisse, se moque de moi, me rejette, m’exclue, entre en conflit ? ».
Si j’apprends précocement – par exemple dans l’enfance – que quand je dis ce que je ressens ou quand je dis non, je peux avoir des problèmes, alors je peux intégrer que la meilleure stratégie, c’est de cacher mon sentiment véritable, de ne pas faire de vague et de faire ce que l’autre veut. Et pourquoi pas même, en souriant.
Dans une situation qui nécessiterait de ma part un positionnement différent de ce qu’on attend de moi, plutôt que de me mettre en danger en décevant ou en irritant l’autre, ou plutôt que de mettre en danger la relation, je préfère piétiner mes besoins et limites. Ca, c’est le mécanisme du Fawning, que nous sommes très très nombreux à adopter, parce qu’il est très encouragé culturellement et socialement, sous couvert de « bonnes manières, de respect de l’autre, de générosité, d’altruisme ».
Pour savoir si je suis en situation de « fawning », je peux observer : quand est-ce que je m’éloigne de moi, pour aller exagérément vers l’autre et aller vers ce qu’il ou elle veut ou vers ce que je crois qu’il ou elle veut ? Quand est-ce que je cesse d’intégrer ce qui est important pour moi dans mes prises de décision ? Quand est-ce que j’imagine exagèrement ce qui va faire de la peine à l’autre ou le mettre en colère, et j’anticipe en adaptant mon comportement pour le satisfaire ? Comment j’évite de faire des vagues, quitte à complètement m’oublier ?
Plus je le fais, plus mon système nerveux en prend le pli, et plus je le refais et ça devient l’une de mes réponses normales dans mes relations. Le fawning s’installe comme un mécanisme de protection qui s’enclenche sans même que j’y pense.
Et pour qu’il continue de fonctionner, je vais me trouver plein de bonnes raisons pour justifier le fait que je suis entrain sauter à pieds joints dans le dépassement et la transgression de mes limites et de mes besoins.
Ce qui se met en route, c’est la recherche de comment me convaincre que ce que ce qui ne me convient pas est en fait « tout à fait cool et me va très bien ».
Pourtant, si je regarde bien, le non à l’intérieur est toujours là et pas très loin. Je sens bien que nier mes besoins est désagréable, et qu’au fond, il y a quelque chose qui ne va pas. Mais alors, je me remets une couche de déni en me racontant que si ça me met mal à l’aise, c’est que le problème vient sûrement de moi et que je dois m’endurcir ou faire mieux.
Mais bonne nouvelle, les amis ! Il est possible de nous défaire de ce mécanisme de déni et de rejet de soi en y amenant notre conscience. Et de réaliser que Se nier soi-même n’est ni une obligation, ni une idée formidable. Un oui à l’autre ne doit jamais être un non à soi.
Luis Mojica, qui est un praticien que j’adore en somatic Experiencing, recommande d’apprendre à écouter notre non.
Même SANS MEME ENVISAGER DE LE DIRE A L’AUTRE DANS UN PREMIER TEMPS.
Déjà APPRENDRE À SENTIR ET À RECONNAÎTRE qu’il y a un non en soi, une réticence, un refus, quelque chose qui dit « ouais bof » ou même « non, franchement non ».
Pour ralentir le processus de negation de soi qui se met en marche si vite, il s’agit d’apprendre à admettre pour soi-même « NON, je n’ai pas envie de ça. Aujourd’hui, je n’ai pas envie de faire l’amour. Je n’ai pas envie d’être touché comme ça. Je n’ai pas envie de ce genre de mots, ou de cet enchaînement là ». Accepter que ça dit non à l’intérieur de soi, c’est une étape cruciale.
Car faire de la place à ce non, c’est aussi pouvoir sentir ce à quoi je dis oui.
Quel est mon vrai besoin ?
Si je sens un non et un refus en moi, c’est parce que profondément, j’ai envie d’autre chose. Il y a l’un de mes désirs sincères qui a besoin de jaillir, et qui en a assez d’être englouti sous un éboulis de faux oui.
Cette autre chose, c’est quoi ? Quelle est mon intention ? Qu’est ce que j’ai envie de vivre dans mon inimité et ma sexualité ? Vers où ou vers quoi je veux aller ? Qu’est-ce que je désire, qu’est-ce que je souhaite profondément ?
Comment je peux apprendre à faire de la place en moi pour ce dont j’ai vraiment besoin. Et comment c’est à l’intérieur de moi, si j’écoute ce désir ?
Le vrai oui, il crée du plaisir et de la paix à l’intérieur de moi quand j’y pense.
Bien sûr, c’est vulnérable d’admettre la réalité de nos désirs. Et ce n’est sans doute pas toujours confortable si la réalité de notre intimité s’en est éloignée, et que le quotidien s’orchestre autour d’une sexualité qui ne nous plait pas, plus, ou moins.
Se connecter à ses vrais désirs qu’on a nié, c’est d’un seul coup se retrouver avec de nouveaux venus qui ont tout le potentiel de chahuter notre vie sur elle-même et de nous emmener vers un ailleurs. Et on se retrouve avec ce nouveau désir dans les bras, en se emandant : « Qu’est-ce que je vais faire de toi, désir ? Et surtout, qu’est ce que tu vas faire de moi si je te fais de la place ? ».
Pourtant, si je nourris assez ce oui à l’intérieur, si je commence à admettre et sentir ce qui compte vraiment pour moi, ce qui est vraiment bon pour moi, ça devient de plus en plus solide dedans. Quelque chose d’heureux grandit assez pour devenir plus important que ma peur de dire non, que ma peur de décevoir, irriter ou même perdre l’autre si j’ose lui dire ce que je veux et ce que je ne veux pas.
Prendre soin de ce que je désire et le respect de moi-même deviennent plus importants qu’être apprécié, compris ou qu’on soit d’accord avec moi. Ca devient tellement bon d’être présent.e à moi, à ma vérité, à mon corps, à mes vrais désirs.
Lorsque je ne m’inquiète plus de perdre l’harmonie avec quelqu’un, parce que je donne la priorité à mon bonheur et à mon intégrité, je suis vraiment libre.
Et puis, ce qui se joue dans l’intime, c’est le magnifique théâtre de ce qui se joue aussi dans la vie.
Et si je choisis de faire de l’espace de la sexualité et de l’intime un terrain d’expérimentation dans lequel j’apprends à sentir et dire ce qui est bon pour moi, cela peut ensuite rayonner partout, dans tout mon rapport au monde et dans tous les espaces de ma vie.
Je peux apprendre à être honnête, partout.
Car je veux apprendre à être honnête, partout.
Sur ce qui est bon et juste pour moi, pour jouir de ma vie, dans la lumière de qui je suis vraiment.
💛💛💛
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