[Ep. 32] Ce que le tantra a changé pour moi (et pourrait changer pour vous)
Aujourd’hui, je voulais vous parler du tantra.
Et si je le fais, c’est parce que je crois au tantra comme espace puissant de guérison des parts de nous les plus vulnérables et blessées.
Et parce que je crois en mon chemin comme une preuve que la magie et la transformations sont toujours possibles.
Pendant très longtemps, j’ai cru que le tantra était un espace où de vieux libidineux se rencontraient pour déguiser leurs pulsions sexuelles sous des propos spirituels. J’imaginais cet univers comme une grande partouze de vicieux, un peu vieux, un peu perchés et un peu dégueu.
Vraiment. C’était l’image que j’avais : la secte de Raël où tout le monde serait tout nu avec des godemichets.
J’étais formelle et certaine que je ne ferais jamais de tantra.
La Vie en a décidé autrement, et m’a fait découvrir un univers tantrique différent de tout ce que je projetais et imaginais. Les expériences que j’y ai vécu étaient si puissantes, que j’ai même quitté mon métier pour devenir masseuse tantrique.
Comment cela a pu se passer ? Voilà l’histoire.
J’ai grandi dans une famille dans laquelle j’ai vécu très régulièrement des violences sexuelles, physiques et verbales. La violence s’abattait sur moi et sur mon frère par salves imprévisibles, sans que je ne puisse jamais comprendre ou savoir pourquoi, ni comment.
Jusqu’à ce que je quitte le domicile de mes parents à 16 ans, je me suis sentie en captivité et en stress permanent.
L’empreinte que cette expérience de violence répétée a laissé dans mon corps et ma relation au monde, c’est que le mal pouvait me tomber dessus, n’importe où, n’importe comment et par n’importe qui. Qu’il n’y aurait personne pour me protéger et me défendre et que je n’avais aucun moyen personnel pour me protéger ou me défendre. Ma seule ressource résidait dans ma capacité à me faire discrète, endurer et à encaisser.
J’ai passé des années à m’enorgueillir de pouvoir « encaisser » beaucoup, à laisser entrer la douleur sans trop réagir émotionnellement ou physiquement. Je ne me rendais pas compte qu’il n’y avait pas de quoi être fière et comme c’était là une fausse richesse, qui trahissait uniquement à quel point j’étais submergée et coupée de mon ressenti.
Assez tôt dans l’adolescence, j’ai choisi d’avoir une vie très sociable. Je rencontrais de nouveaux gens tout le temps, dans mes activités puis dans mon métier. Où que j’aille, je pouvais sourire et parler à tout le monde, me faire des copains, passer de bons moments.
Derrière cette apparente aisance, je me sentais dans une anxiété permanente. La proximité physique m’angoissait. Je dupais l’angoisse, je maintenais mon rire en prenant de l’alcool ou différentes drogues.
Après chaque moment relationnel, j’avais besoin d’énormément de solitude pour compenser. Je mettais des heures à me rétablir dans l’isolement.
Je sortais beaucoup, je connaissais beaucoup de gens, mais je n’étais intime qu’avec très peu. C’était extrêmement difficile pour moi, voire impossible de faire confiance à quiconque. En fait, derrière mes apparences, j’étais inapprochable.
Parce qu’être approchée, pour moi ça voulait dire, m’exposer à nouveau à de la violence aléatoire. Et je ne voulais plus vivre ça.
La distanciation physique et émotionnelle était ma solution de sécurité.
L’une de mes amies disait de moi qu’émotionnellement, je vivais retranchée dans un donjon, et que pour avoir accès jusqu’à moi, il fallait passer les douves, les herses, les dragons, les pièges et tout le reste. Et que même si tu passais toutes ces épreuves, rien ne t’assurait que tu n’allais pas te faire renvoyer à la catapulte à la case départ.
Bref, je suis une sorte de Fort Boyard à petit budget et je me remercie mes amis les plus aventureux de s’y être essayés et d’avoir persévéré.
J’ai fonctionné ainsi longtemps.
Et puis, un jour, une suite de coïncidence m’a menée jusqu’à un masseur tantrique.
Lors de ce massage, j’ai eu des sensations et des visions de temples et de jardins. Et j’ai eu le sentiment très fort de revenir chez moi, dans une terre magnifique dont j’avais été longtemps exilée.
C’était intense, je ne comprenais pas du tout ce que ça voulait dire, je pleurais toutes les larmes de mon corps. Mais les visions étaient tellement belles et poignantes, que j’ai décidé de m’inscrire à un stage de tantra.
Je me suis beaucoup renseignée car j’avais énormément d’apriori et de peurs sur cet univers. J’attendais de trouver quelqu’un qui m’inspire un oui intérieur et un sentiment de sécurité au premier regard. Et un jour, je suis tombée sur une vidéo de Marie-Jésus Sandoval, et j’ai su que c’était elle. Que c’était avec elle que je voulais aller plus loin dans le tantra.
Je suis donc allée à un de ses stages et dès la première heure, ma vulnérabilité m’a explosé dans le corps.
Pour la confidentialité de ces espaces, je ne vais pas révéler les pratiques de Marie-Jésus, mais il y avait des pratiques qui demandaient d’être dans la proximité physique avec les autres participants et de se toucher, de manière très innocente en restant tout habillés.
Pour moi, c’était la définition de l’enfer. Je n’arrivais plus à respirer, j’étais glacée, j’avais peur, j’avais envie de m’enfuir ou de distribuer des coups de boule au hasard.
Je sentais une violence énorme en moi qui montait et que je contenais.
Je me sentais totalement à la disposition des autres. J’avais l’impression que n’importe qui pouvait décider ce qu’il ou elle allait faire de moi ou avec moi, et que je n’avais aucun pouvoir sur rien. Je ne voyais que deux options possibles : subir le désagréable, ou y échapper par miracle. Je revivais cette hypervigilance de mon enfance, cette sensation d’impuissance et de ne pas pouvoir me dégager d’un enfermement menaçant.
Ce qui a tout changé, c’est que Marie-Jésus m’a appris que je pouvais dire non. A toutes les propositions, à tous les participants, et à n’importe quel moment.
Que rien n’était obligatoire, que c’était moi qui décidait ce que je voulais faire avec mon corps et avec moi-même, et que personne ne pouvait décider pour moi. J’avais toujours attendu ça.
Qu’une figure extérieure qui représente l’autorité et le soin me dise que je pouvais dire non. Valide qu’en fait j’avais toujours eu ce droit, et que je pouvais en disposer librement aujourd’hui, à défaut d’avoir pu l’exercer dans le passé.
C’était ça, la vie que j’avais toujours voulue et pour laquelle je n’avais pas eu de modèle. Une vie où l’on peut dire oui et non librement, sans se justifier, sans avoir à expliquer pourquoi. Où je pouvais décider pour moi-même.
Et ça a ouvert une porte à la liberté de mon corps et à tous ces non que je n’avais jamais pu dire pendant toute mon enfance. Toutes les oppositions impossibles, toute la colère écrasée.
Pendant des mois, j’ai dit non, non, non, en refusant certains touchers ou certaines pratiques – parfois très simples – mais que je considérais être trop intenses pour moi. Je demandais à des personnes de se tenir à distance de moi dans des pratiques dont j’étais le centre. Pendant des mois, Marie-Jésus a demandé aux participants de me laisser de l’espace, de s’écarter de moi, de laisser mon énergie se déployer.
Je disais non – non pas parce que ces personnes me déplaisaient ou m’avaient fait quoi que ce soit de mal – mais juste parce que je ne voulais pas de leur présence. Parce que j’avais besoin d’espace à moi, d’intégrité physique et de distance dans mes relations.
J’avais besoin d’affirmer que je ne voulais pas être touchée au coeur même d’un espace où a priori, tout le monde vient pour être touché.e.
Je suis redevenue maîtresse de mon territoire. J’ai écouté et respecté ce qui était bon pour moi. Et expérience après expérience, j’ai appris à avancer à mon rythme et à admettre que la confiance demande du temps et des preuves.
Et en créant de l’espace autour de moi, j’ai pu commencer à me ressentir moi-même et à découvrir tout ce qui existait et vibrait en dessous du manteau de ma vigilance et de ma peur.
J’ai découvert toute la délicatesse de ces espaces de moi qui avaient besoin d’être approchés avec soin et tendresse et prudence.
J’ai appris à sentir la force et l’énergie têtue incroyable qu’il m’avait fallu pour tenir tête à l’adversité de mon enfance. Pour croire, en dépit de la seule réalité qui m’était accessible, qu’autre chose était possible, et qu’un jour, j’allais y résider.
J’ai honoré cette force et cette énergie de vie résiliente qui avait continué de pousser en moi malgré tout, comme une mauvaise herbe qui se trouve un chemin dans les cailloux.
Je suis revenue habiter mon corps d’adulte. J’ai pris conscience de sa grandeur, de sa souplesse et sa force physique. J’ai développé ma confiance en sa capacité de me protéger et de poser des limites par la force si cela s’avérait nécessaire.
Et peu à peu, toute cette énergie que je consacrais à ma protection, ma survie, ma colère, ma tristesse, ma rancune, ma défense, a commencé à s’orienter vers mon plaisir.
Comme une plante qu’on met au soleil et qui commence à pousser droit.
J’ai appris à dire oui. A ce qui me faisait envie, aux touchers qui m’étaient agréables, à la rencontre, à la connexion.
J’ai appris à aimer être dans mon corps, mais plus seulement quand je suis seule ou dans la nature.
J’ai appris à aimer être dans mon corps, en présence des autres. A ressentir le plaisir d’être dans mes sensations, de respirer, de bouger, de me toucher.
Et le plaisir d’être touchée, caressée, massée, étreinte, tenue.
J’ai appris à plonger dans les sensations agréables d’un contact avec un autre corps, comme on plonge dans l’eau. Avec curiosité et aisance.
J’ai appris à me sentir en sécurité quand je suis touchée et même à ouvrir un espace d’appréciation, parce que j’avais développé ma capacité à dire non, à n’importe quel moment, si j’avais besoin que ce contact s’arrête.
J’ai appris que des connexions très agréables peuvent exister avec beaucoup de personnes. Qu’il nous est partout possible de co-créer des espaces de soin, de tendresse, de délicatesse avec des hommes ou des femmes qui aspirent à la même chose.
J’ai osé faire confiance à mon discernement pour savoir vers qui je veux aller et qui je veux bien laisser venir vers moi. Je m’autorise à me tenir à distance ou repousser des personnes qui ne m’inspirent pas ou que je trouve louche. J’accepte aussi qu’on ne vienne pas vers moi ou qu’on ne m’apprécie pas.
Je peux désormais aller dans des espaces de danse avec beaucoup de contact, d’improvisation et d’imprévisibilité et y trouver du confort et de la joie. Je peux laisser un homme que je ne connais pas me guider dans des danses, m’emmener contre lui, me faire tourner, le laisser faire et le suivre, l’encourager même, sans avoir peur de lui et sans me perdre. Et même en y ressentant du plaisir.
Bien sûr, tout n’est pas fini. C’est un processus qui a été long et qui sans doute m’accompagnera toute ma vie.
Ca m’arrive encore que mon corps aie peur, de sursauter quand on me touche par surprise. Le souvenir de la violence rejaillit ça et là.
Je suis restée sauvage et méfiante, intimement. Et malgré cette prudence, il m’arrive encore de laisser entrer dans ma vie des personnes qui me prouvent ensuite que j’aurais mieux fait de les laisser tomber dans mes douves. Mais j’apprends à mieux naviguer dans mes relations et à avoir confiance que je ferai mieux la prochaine fois.
La plupart du temps, je n’habite plus cet espace de mon passé dans lequel je n’avais pas le choix.
Et si je raconte tout ça, ce n’est vraiment pas pour me placer en exemple, mais parce que je dois toute mon évolution aux enseignements et pratiques du tantra. Je souhaite témoigner en vérité de ce que le tantra peut guérir.
Car je me souviens de l’enfant craintive, recroquevillée et mutique que j’étais, apeurée par des gestes violents et abusifs. Et aujourd’hui, je m’imagine pouvoir lui dire : « Courage, mon Amour. Tu verras, quand tu seras adulte, tu seras grande. Tu pourras te déployer dans ton corps, danser, toucher, rire, avoir du plaisir et de la confiance dans la compagnie des autres humains. Et tu auras la force physique et les moyens de dire non et d’être respectée quand tu en auras besoin. »
Et s’il m’est possible d’envoyer ce message d’espoir à mon enfant intérieure à travers le temps, c’est parce que le tantra et ce que j’en ai fait ont permis tout ça.
Comme l’écrivait Christian Bobin, nul n’est condamné éternellement aux enfers. Ni vous, ni moi.
La joie n’est peut-être pas si loin.
💛💛💛
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