[Ep. 7] « T’as tes règles, ou quoi ? » : Cycle menstruel, règles et émotions associées
Dans la famille dans laquelle j’ai grandi, j’avais un rêve : pouvoir exprimer mes émotions et que celles-ci comptent et soient entendues.
C’était ça mon Graal, un monde où on me demande comment je vais, et où je peux répondre en disant comment je me sens, et où on écoute la réponse, avec calme et intérêt.
Alors bon, ça ne s’est pas passé comme ça, et je n’étais pas dans la bonne famille pour honorer ce besoin là.
Ce matin je voyais une vidéo de l’écrivain James Baldwin qui parlait du fait que lorsqu’on baigne suffisamment longtemps dans un environnement, on commence irrémédiablement à devenir le complice de cet environnement. Et à intégrer les messages que cet environnement propage, même s’ils vont à l’encontre de qui nous sommes et de nos aspirations les plus profondes.
Alors, dans cette famille qui était la mienne, assez naturellement, j’ai commencé à dissimuler et taire mes sentiments, à recevoir les coups de chance ou les coups du sort avec une apparente impassibilité, qui voilait mon monde intérieur, autant inexprimable qu’inexprimé.
Mais ça, c’était avant d’avoir des règles et un cycle menstruel.
Sache-le, si tu as perdu contact avec tes émotions pour une raison ou pour une autre, il existe en toi une grande cavalerie qui a pour mission de les faire remonter à la surface et de les ramener jusqu’à toi.
Cette cavalerie, c’est le Syndrome Pré-Menstruel.
Le SPM, c’est un phénomène qui touche énormément de femmes. Avec des symptômes physiques, mais aussi des symptômes émotionnels et psychiques super forts, qui démarrent entre quelques heures et plusieurs jours avant les règles, et qui disparaissent généralement peu après leur arrivée.
J’ai découvert son existence le jour où j’ai remarqué que systématiquement entre 6 et 5 jours avant mes règles, je vivais un énorme clash avec mon compagnon. Ou que j’avais des épisodes de désespoir intenses qui pouvaient me donner carrément envie de mourir, alors que je n’ai pas de pensées suicidaires le reste du temps.
Et le lendemain tout allait mieux, alors que la veille ce désespoir m’était apparu tellement réel et palpable et profond et insoluble, qu’il me paraissait préférable de quitte mon compagnon ou la vie toute entière.
C’est très perturbant de vivre ça quand tu ne sais pas ce que c’est et ce qui t’arrive. A la fois pour soi-même et pour l’entourage qui en prend plein la face sans trop comprendre pourquoi.
Je me souviens que quand j’ai compris qu’il y avait un lien entre ces accès de déprime et mon cycle menstruel, ça a été un soulagement. Ca m’a permis de comprendre que c’était juste un orage régulier à traverser. Un temps pour me mettre à l’abri et observer.
J’ai toujours adoré les orages. Je les ressens comme un temps de pause qui interrompt le rythme régulier de la vie. Ils obligent, par leur puissance, à s’abriter dans une maison, ou sous un porche, et à les observer en attendant qu’ils passent. Parce qu’ils passent. Mais tant qu’ils sont là, ils soumettent le monde à leur force, leur déchainement et leur beauté.
Et avec le temps, j’ai appris à voir dans mon SPM la beauté des orages.
Car c’est magnifique en fait, cette façon qu’a le PMS d’excaver et de déchainer des émotions enfouies et invisibles le reste du temps. De les exacerber et des les grossir pour qu’il soit impossible de détourner d’elles mon regard et mon attention.
Dans un monde qui encourage – ou du moins qui m’a encouragée – au retrait de mes sentiments.
C’est comme si le PMS choisissait pour moi, au delà de moi, de montrer au monde « voilààààà les émotions qui existent en moi ». Et qu’il m’intimait de les dire, les crier, les pleurer. Qu’il me sommait de les vivre et de les reconnaître.
C’est irréprecible et inextinguible et incontrôlable. Plus fort que nous, quelles que soient les barrières culturelles, familiales ou personnelles que nous avons pu mettre en place dans nos vie.
Quand je vois mon ciel intérieur s’obscurcir, je m’abrite dans un espace sécure de moi-même pour observer ce déchaînement émotionnel et ce qu’il a à me montrer de moi. Et j’essaye de me tenir à l’écart du monde pour que mes foudres ne s’abattent plus sur personne.
Pour moi, le SPM, c’est la fameuse expression « t’as tes règles ou quoi ? ». Parce qu’au delà de la misogynie larvée qu’on peut prêter à cette question, je reconnais qu’elle a un fond de vérité, mais avec un petit retard de timing. Parce que moi, ce n’est pas pendant mes règles que je me transforme en furie, c’est avant.
Quand mes règles arrivent, c’est autre chose et une autre histoire, que je vais te raconter.
J’ai l’impression que les règles ont une charge symbolique forte pour beaucoup d’entre nous. Et cette charge, qu’elle soit positive ou négative, est toujours différente d’une femme à l’autre.
Voici la mienne.
Pendant toute mon enfance, je n’ai pas pensé que j’aurai un jour mes règles. J’ai grandi essentiellement dans la compagnie de mon père et de mon frère, et le sujet n’a jamais été évoqué. Je me vivais plutôt comme un garçon, avec un présent de garçon et un futur annoncé de garçon. Même la boulangère du coin collaborait à cette idée en m’appelant jeune homme.
Au collège, j’avais des copines qui avaient déjà leurs règles et c’était toujours le prétexte d’agitations et de démonstrations de solidarité. Est-ce qu’elles pouvaient sécher le sport en indiquant qu’elles étaient « indisposées » (c’était le mot à l’époque) ? Est-ce que l’une d’entre nous avait une serviette hygiénique à prêter en cas d’urgence ? Est-ce qu’elles avaient une tache de sang sur le pantalon parce que ça aurait été « trop la honte » ?
Alors, moi j’avais une serviette hygiénique dans mon sac à dos, prête pour le geste héroïque de dépanner les copines et pour l’arrivée de mon propre grand jour.
Et le grand jour est arrivé quand j’étais en troisième, mais ça n’a pas été la liesse. Mes règles m’ont rappelé d’un seul coup que j’appartenais au genre féminin, qui était dans ma croyance un genre défavorisé et défavorable.
Je ne voyais pas le moindre intérêt à saigner et à prendre du Spasfon tous les mois pour apaiser mes crampes utérines. J’avais l’impression de payer cher une cotisation mensuelle pour un club dont je n’avais jamais demandé à être membre.
Si bien que assez rapidement, quand ma gynécoloque de l’époque m’a proposée une pilule qui faisait qu’on n’avait plus ses règles, je me suis dit « Banco » et j’ai foncé sur l’opportunité. J’ai pris cette pilule pendant près de 10 ans. 10 ans sans règles. Et franchement, je trouvais ça génial. Dans mon idée, j’avais hacké le système et renversé l’injustice.
Et puis, je suis arrivée dans le monde du yoga. J’y ai plongé en explorant les galaxies connexes qui vont assez naturellement avec : le féminin sacré, la médecine douce, la reconnexion à son corps, à la nature. Et dans cet univers, le principe d’un produit chimique qui influe sur la chimie naturelle du corps, ce n’était pas le top. Et encore moins si ce produit annule les règles qui sont une manifestation du cycle naturel et du cycle de la vie.
Dans cet univers alternatif, j’ai découvert quelque chose de très étrange pour moi : la passion des règles.
Je rencontrais des femmes qui aimaient vraiment avoir leur règles. Qui trouvaient ça magnifique et avaient une sorte de révérence pour ce moment du mois. Qui faisait des cérémonies et des rituels avec leur sang. Qui avaient même tout un lexique de sacralisation de l’événement en appelant leurs règles « mes lunes ».
Les règles, d’après elles, c’était super bien.
Et moi, en les voyant, je me disais « C’est quoi ce délire ? » et j’étais plus que perplexe. J’étais animée par le désir profond de m’intégrer dans ce nouvel univers et de le comprendre, mais je me sentais complètement étrangère à certains de ses codes et incapable de les adopter. Je refusais même d’y céder : en me proposant d’aimer et célébrer mes règles, j’avais l’impression qu’on me demandait une conversion et la soumission à une foi qui n’était pas la mienne.
Je suis allée aussi loin qu’il était possible et juste pour moi. J’ai arrêté de prendre la pilule parce que je ne voulais plus de chimie dans mon corps. Et mes règles sont revenues. Mais, je ne me suis pas mise à m’extasier devant elles, ou à les appeler Mes lunes. Ce mot n’est jamais sorti de ma bouche.
Chaque fois que j’entendais « mes lunes », ça venait plutôt renforcer en moi cette posture hautaine et distanciée. Un peu misogyne aussi. Je me disais qu’en quelque sorte on avait perdu ces femmes, qu’il y avait quelque chose de grotesque dans cette célébration et ce vocabulaire, et je cherchais quelqu’un avec qui j’aurais pu en rigoler.
A la place de trouver un.e complice en moquerie, j’ai rencontré Laure.
Laure est une femme que j’admire et aime absolument et que je ne soupçonne pas d’appartenir à un club de femmes perchées. Et pourtant, elle adore avoir ses règles. Elle aussi les appelle ses « lunes » parce qu’elle n’aime pas la résonance du mot règle, et parce qu’elle aime l’association du cycle menstruel et du cycle lunaire.
Ca t’est déjà arrivé que quelqu’un que tu aimes fasse quelque chose que tu n’apprécies absolument pas et contre lequel tu as les pires préjugés ? Mais que tu aimes suffisamment cette personne pour ouvrir ton coeur à de la curiosité et à un changement de perspective ?
Tu vois par exemple, ce papa qui accompagne ses filles au concert de Aya Nakamura pour leur faire plaisir et qui se met à dodeliner de la tête plus le concert avance.
Bah voilà, ce papa, c’est moi au contact de Laure.
Laure m’a expliqué pourquoi elle trouvait ses règles géniales, sans aucun évangélisme, sans aucun jugement sur mon point de vue sur le sujet. Elle m’a parlé du fait que pour elle c’était un temps de nettoyage physique et émotionnel. Elle a montré une affection si douce et si reconnaissante pour la magie de son corps que ça a ouvert quelque chose en moi.
Et par cette petite porte intérieure entrouverte, j’ai voulu tenter une expérience.
J’avais rencontré des femmes qui donnaient le sang de leurs règles à la Terre ou à leurs plantes, pour remercier la Terre. Et j’ai eu envie d’essayer ça.
J’ai récupéré le sang de mes règles dans une cup et j’ai donné le contenu de chaque cup
à l’une de mes plantes.
Et une sorte de miracle s’est produit. Dans les jours qui ont suivi, les plantes se sont mises à grandir, à rayonner, à être plus belles et plus vertes. C’était franchement extraordinaires à voir, tellement c’était flagrant.
Et ce moment de jardinage menstruel improvisé a été une étape de réconciliation et d’amour immense avec mes règles. J’ai pu observer que quelque chose qui vient de mon corps à un effet magnifique et puissant sur des êtres aussi merveilleux et purs que les plantes. Et ça, ça m’a fait me dire qu’il y avait quelque chose de véritablement magique en moi, et que ce quelque chose, c’étaient mes règles.
Depuis, je donne mon sang à mes plantes tous les mois ou presque.
Je ne dis toujours pas mes lunes.
Mais je vois de la beauté et un sens dans les règles.
Et toi, comment tu vis tes règles et tout ce qui va avec ?
💛💛💛
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